Version du Contrat social du Manuscrit de Genève, 1758
Sitôt que les hommes vivent en société, il leur faut un religion qui les y maintienne. Jamais peuple n'a subsisté ni ne subsistera sans religion et si on ne lui en donnait point, de lui-même il s'en ferait une ou serait bientôt détruit. Dans tout État qui peut exiger de ses membres le sacrifice de leur vie celui qui ne croit point de vie à venir est nécessairement un lâche ou un fou ; mais on ne sait que trop à quel point l'espoir de la vie à venir peut engager un fanatique à mépriser celle-ci. Ôtez ses visions à ce fanatique et donnez-lui ce même espoir pour prix de la vertu, vous en ferez un vrai citoyen.
La religion considérée par rapport à la société peut se diviser en deux espèces, savoir la religion de l'homme et celle du citoyen. La première, sans temple, sans autels, sans rites, bornée au culte purement spirituel du Dieu suprême et aux devoirs éternels de la morale, est la pure et simple religion de l'Évangile ou le vrai théisme. L'autre, renfermée pour ainsi dire dans un un seul pays, lui donne ses dieux propres et tutélaires, elle a ses cérémonies, ses rites, son culte extérieur prescrit par les lois : hors de la seule nation qui la suit, tout le reste est pour elle infidèle, étranger, barbare, elle n'étend les devoirs et les droits de l'homme qu'aussi loin que ses dieux et ses lois. Telles étaient les religions de tous les anciens peuples sans aucune exception.
Il y a une troisième sorte de religion plus bizarre qui donnant aux hommes deux chefs, deux lois, deux patries, les soumet à des devoirs contradictoires et les empêche de pouvoir être à la fois pieux et citoyens. Telle est la religion des lamas, telle est celle des Japonais, tel est le christianisme romain. On peut appeler celle-ci la religion du prêtre.
À considérer politiquement ces trois sortes de religion, elles ont toutes leurs défauts. La troisième est si évidemment mauvaise, que c'est perdre le temps de s'amuser à le démontrer.
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